« A73 » ou plus connue du public sous le nom de « Springer » a en effet suscité un véritable élan de solidarité chez les protecteurs des cétacés, tout en posant de nombreuses interrogations encore sans réponse aujourd’hui, bien qu’elle ait rejoint les siens !
Comment une jeune orque appartenant à la famille A, résidente l’été dans la région du Johnstone Strait où se trouve un sanctuaire naturel qui leur est reconnu sous le nom de Robson Bight Ecological Reserve s’est-elle retrouvée seule, sans les siens, au moment de la migration hivernale ?
Orpheline, Springer n’était pas en âge de s’en sortir seule et il n’est pas courant non plus chez les orques dont nous connaissons les forts liens sociaux de laisser un jeune derrière eux pour une aussi longue période. En peu de temps, c’est en fait deux orques dans la même région qui se sont retrouvés solitaires, l’autre nommé « Luna » étant toujours dans les eaux entre le Canada et les États-Unis en cette fin d’année. Mais c’est pour Springer que tous les efforts vont être produits pour la reconduire vers les siens, déclenchant une véritable campagne internationale à grands renforts médiatiques. Peu d’exemples similaires dans le passé permettaient aux scientifiques spécialistes des orques consultés dès les premières semaines de sa découverte de connaître avec certitude les issues possibles. S’il n’était pas question de laisser le Vancouver Aquarium récupérer Springer afin de remplacer Bjossa décédée l’an dernier à l’automne 2001 après son transfert à Sea World, quelle était la meilleure solution pour l’orque et non les humains autour ? Comment savoir si ce n’était pas une décision du groupe de l’exclure pour des raisons qui ne concernaient pas les hommes ? A-t-on le droit d’intervenir ? S’est-elle retrouvée séparée des siens déroutée brutalement par l’impact de la pollution sonore ?
Springer posait donc un véritable problème d’ordre moral tout autant que politique car elle avait choisi les eaux américaines autour de Puget Sound comme nouvelle demeure. Toutes les équipes de scientifiques envoyées sur place afin de l’observer ont constaté les premiers temps qu’elle n’était pas en bonne santé, sans doute ne se nourrissant pas bien toute seule. Évoluant dans une zone à haut trafic maritime, elle était également en danger face aux grands navires tandis qu’elle semblait apprécier de plus en plus la compagnie des petites embarcations. Car rappelons-le, un orque résident n’est pas naturellement solitaire, il lui faut le support du groupe pour survivre, dans toutes les activités qui sont les leurs, de la pêche à l’accouplement en passant par le jeu… Springer n’avait donc aucune autre alternative pour combler sa solitude que de s’approcher des bateaux et rester près d’eux, les prenant vraisemblablement pour sa nouvelle famille, recherchant le contact.
Comment éviter ainsi que Springer ne devienne réellement une orque solitaire tenant compagnie aux humains faute de ne pouvoir être parmi les siens, à l’image de tous les dauphins qui peuplent nos mémoires, tels que Jojo aux Bahamas ?
A l’inverse des drames de la capture de ces rois des océans, tous les efforts vont être investis cette fois pour offrir la liberté à une orque, intervenant peut-être dans une décision de sa famille mais lui permettant de ne pas finir dans un bassin. Durant l’hiver 2002, les autorités canadiennes et américaines vont négocier avec les scientifiques et les financiers afin que Springer reprenne le chemin de ses eaux natales à l’arrivée de l’été. Il fallait décider comment elle serait transportée et où elle serait déposée afin d’optimiser ses chances de réintégration. Il n’était pas question d’utiliser un moyen encore plus traumatisant que ce qu’elle venait déjà de vivre, par conséquent l’avion n’était pas envisageable, restait donc un bateau, capable de transporter une orque depuis les eaux bordant l’état de Washington jusqu’au nord de l’île de Vancouver, dans des conditions climatiques rarement idéales même en plein été…
Le lieu pour y installer un bassin flottant en pleine mer dont Springer pourrait sortir à sa guise était tout choisi : près de Hanson Island où le spécialiste Paul Spong y a établi son laboratoire pour les orques, d’où chacun pourrait surveiller l’évolution de la situation, espérant bien que la jeune star malgré elle n’y demeurerait pas longtemps. Cette île est idéalement située puisqu’elle est sur leur trajet de migration estivale et qu’il est rare de ne pas en entendre et en voir dans la zone entre début juillet et octobre. La réserve de Robson Bight est juste à l’est de Hanson Island, face à West Cracroft Island.
Le navire commandité pour l’opération de type utilisé pour l’éco-tourisme de taille imposante allait être aménagé pour pouvoir accueillir l’hôte de marque durant la traversée de quelques jours. Il fallait organiser également la sécurité du convoi car Springer était devenue bien malgré elle la cible de bien trop d’enjeux pour espérer quitter discrètement sa résidence provisoire…
De mois en mois, s’approchant de la meilleure période pour lui faire parcourir ces kilomètres, la tension grandit entre les parties concernées car l’accord des États-Unis de laisser partir Springer et du Canada de la laisser entrer était toujours suspendu à l’état de santé de la jeune orque. Fort heureusement pour elle, se nourrissant mieux, elle suscitait moins d’inquiétude depuis le printemps et répondait donc aux critères exigés des services gouvernementaux.
Après un premier espoir de la voir partir début juillet, l’accord fut signé pour un départ vers le 10 du même mois, bateaux de surveillance autour afin d’empêcher les journalistes et autres de s’en approcher durant la traversée. Il fut même question d’hélicoptère…
L’épopée de Springer prit donc un tournant décisif lors de son arrivée dans les eaux du Johnstone Strait le 14 juillet, sous bonne garde. En fin de journée, elle prit possession de son nouvel habitat, veillé par tous les amoureux des orques missionnés dans la région, scientifiques ou non. La nuit même, un groupe d’orques lui rendit visite et le lendemain, contre toute attente, elle avait déjà quitté son enclos !
Springer toujours attachée aux bateaux et à leurs passagers a passé les premiers jours entre la compagnie d’orques du même groupe et celle des navires, ne se décidant pas à fausser compagnie aux humains. Grâce à un effort général dans toute la zone, Springer fut encouragée à croiser parmi les siens, repoussée vers le large chaque fois qu’elle s’approchait trop près d’un bateau comme en témoigne Alexandra Morton, autre spécialiste des orques vivant dans la région.
Depuis la fin du mois de juillet, Springer est à nouveau une jeune orque vivant en société, prise en charge entre autres par une aînée également orpheline, « A51 ».
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